De 1998 à 2001, j'ai tenu - en alternance avec d'autres personnes - le billet d'humeur d'un journal local. Comme vous n'avez pas détesté mes ecrits précédents, je vous livre un de ses écrits(certains esprits chagrins pourraient considérer que je ne respecte pas les droits d'auteur, puisqu'ayant été publié, j'ai transféré mes droits d'auteur au journal. Que ces esprits sourcilleux se rassurent : le journal n'existant plus, je retrouve mes droits sur ma production )
Je sens encore aujourd'hui la douceur de tes gestes, lorsque, matinal, tu préparais le petit déjeuner d'une jeune tribu insouciante qui ne songeait qu'à rire et à courir. Pour nous, le monde se limitait aux terrains de jeu et aux conversations secrètes des cours d'école. Nous nous moquions peut-être - de cette moquerie que seul l'amour enfante - un peu de ton silence, n'en cherchant pas à en comprendre les raisons, incapables d'en saisir la qualité, par indifférence à la gravité du monde.
On ne parlait pas alors de la mondialisation et il n'y avait pas à se féliciter de l'alliance entre deux géants de la distribution et de la pétrochimie. Heureuse époque, car la célébration du mariage et les flonflons de la fête n'estompent pas le bruit horrible et sinistre des têtes qui roulent dans la corbeille de mariage.
Il y avait simplement une crise dont on annonçait la fin - le bout du tunnel- à chaque début d'année.
Et puis ce mot, jusque là pure rhétorique, prit soudain pour nous tout son sens : notre univers progressivement se déchira, comme pris de convulsion. Sa déliquescence emprunta au départ un aspect aimable. Tu restais avec nous plus souvent que d'habitude, mais cette présence, d'abord douce, devient bientôt plus inquiétante. Nous sentions que quelque chose te volait une part de ton humanité, avant la fin de ton âge. Ce n'est que bien des années plus tard que je compris le sens de ce regard que tu portais alors sur toute chose, mais il était trop tard pour t'apporter le réconfort de ma compréhension.
Et voilà qu'aujourd'hui vient un nouveau siècle : dans son aube blafarde, je reconnais la tristesse de ton visage.
Toulouse 2001